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17-08-25

Chronique - Passion de mon pays :
Haïti

 

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Stéphane Garneau et son équipe m'ont invitée pour partager avec eux et avec vous ce dont j'ai envie, sur un pays qui porte une grande signification pour moi, dans ma vie et dans ma carrière. Évidemment que je vais vous parler d'Haïti !  Le pays de mes parents, mes grands-parents, de mes anciens, de tous mes combats comme de toutes mes célébrations, de mon identité personnelle et collective, du son, des mélodies, des rythmes qui m'habitent et qui m'appellent, le pays de ma persistance et de ma pérennité, le pays de mon histoire et surtout, de notre histoire à tous. 
Celle qui ne nous est jamais racontée. 
La seule requête qui m'accueille et me ceint à mon arrivée devant le micro : « Ne parlons pas des crises, parlons d'autre chose, restons dans le léger »

Vous comprenez que ce n'est pas sans un certain malaise et ce n'est pas dénuée de conscience que j'accepte de parler en ce moment d'Haïti dans un cadre de légèreté qui pourrait être dissonante pour ne pas dire sournoise ou hypocrite. Mais c'est mon désir et mon devoir de justement profiter de ce temps d'antenne concis pour mettre la lumière sur le vrai Haïti. L'Haïti de Dessaline, des Taïnos, des Bosals, des empires africains... L'Haïti du 14 août 1791, celui des marrons, des Moun Mòn, des paysans !
L'Haïti de mon enfance aussi, l'Haïti qui a bercé mes inspirations, où j'ai été aimée par une grande famille nombreuse, par tout un quartier, tout un village, tout une nation qui m'a transmis l'art de joindre l'être et le devenir, l'avoir et le savoir, la lutte et ses cérémonies, l'individu et son humanité.
Honneur et respect. 

J'ai tout juste le temps de vous pointer la lumière. Prenez tous ces mots, ces noms, ces dates que je dissémine et allez les rechercher en profondeur. 
Bonne écoute...

 Écoutez la chronique   

 

 

 

Bon 234e anniversaire de la Cérémonie du Bois Caïman à tous les haïtiens et à tous les peuples résistants de la terre.  
Cette insurrection est encore en cours puisque tant que toutes les nations de ce monde ne seront pas libres et égales... 🔥
Let's go party people. Avanse Avanse !

Et mes hommages aux victimes de La Saline, de Delma 6, Delma 8, de Croix-des-Bouquets, de Cité Soleil, de Port-aux-Prince...
Pour vous, les chandelles sont allumées.

 

Ce qui se passe en Haïti en ce moment : 

 

 constitution

 

  • 85% de la capitale, Port-aux-Prince est assiégée par les pseudo chefs de gangs.
    Je dis “pseudo” car il y a plus de 200 différents gangs en Haïti, qui ne sont pas tous les mêmes et ne fonctionnent pas de la même façon non plus. Donc ils sont plutôt - et je vais peser mes mots pour faire gaffe aux malentendus et au manque de respect - de pauvres hommes, à qui on a culbuté l'esprit, à qui on a donné des armes et qui se situent à quelque part dans une nuance entre des terroristes parrainés et subventionnés et des prétendus putschistes instinctifs et spontanés. Je dis “prétendus” parce que ces gars-là sont beaucoup trop aiguillés par leur ego et leur portefeuille pour oser clamer une révolution honnête et respectable.

    On a vu souvent dans la chronologie géo-politique du monde se déployer partout les comportements des gangs qui nous permettent de les étudier et de les identifier comme tels. On n’est pas cons, on voit bien qu’ici, la volonté de détruire le territoire où ils font affaire et de vider ces territoires de leurs clientèles ne fait aucun sens pour l’appétence de ces gangs qui continuent, malgré leur enrichissement, à habiter ces lieux délabrés jusqu’à ce que désert puis possession s’ensuivent.

    Alors que veulent-ils vraiment, ces “gangs” ?
    Il faut le demander à leurs “supérieurs”, à ceux qui les charbonnent et qui les arment !
    Et là non plus on n’est pas nés de la dernière pluie, ni du dernier tremblement !
    Tous les documents de l’histoire qui nous mènent jusqu’à aujourd’hui nous révèlent les premiers responsables, le haut de cette pyramide criminelle ! Toujours la même depuis le jour 1 de l’existence de ce pays ! :
    D’abord, l’oligarchie et la ploutocratie dégueulasse, cette petite poignée de riches qui vendent et se partagent les profits d’Haïti et du désordre, entre eux. Les mêmes qui ont assassiné Dessaline et qui depuis, forment les chefs d’état corrompus qui se succèdent.
    Et en haut de ces lâches qui ne connaissent pas la honte, la théorie colonisatrice, capitaliste et raciste de la dite communauté internationale du commerce triangulaire, écrite, ordonnée et actionnée par quelques pays d'Europe et en particulier la France, les États-Unis qui s’ajoutent au bal depuis 1915 ET, plus récemment, le Canada !
    N’oublions pas que le Core Group qui run le show a été initié par le Canada sous le gouvernement Chrétien à Gatineau au Lac Meech en 2003 !
    Demandez à Trudeau qui a élu Ariel Henry après l'assassinat de Jovenel Moïse.

    Aucun gouvernement haïtien à travers l'histoire n’a exercé son pouvoir sans avoir été désigné et commandé par cette alliance entre les hommes d’affaires pervertis - qui ne sont pas dignes de se dire haïtiens - les pays dominants du système colonial et néo-colonial et ce Core Group et toutes ses ramifications impliquées dans l’OEA, la CARICOM et même dans l’ensemble des ONG qui jouent un rôle très important dans la politique du « Global Fragility Act » des États-Unis. 

  • D’ailleurs, L’OEA vient de soumettre un plan pour la suite de l’aide à Haïti dans lequel il propose un montant de 1.3 milliard de dollars dédié à ce plan. Et comment propose-t-elle de le distribuer ?
    900 millions alloués à l’aide humanitaire !!!??? What?
    Vous savez c’que c’est, l’aide humanitaire ! C’est la présence des ONG qui s’engraissent ! C’est quelques repas chauds ici et là, ce sont des serviettes sanitaires offertes aux jeunes filles qui ont à peine des vêtements à se mettre sur le dos, se sont des constructions d’écoles à ne plus finir ! - Hey ! Haïti ne manque pas d’écoles ! On n’a jamais vu autant de bâtiments scolaires se construire et de salles de classes remplies de pupitres…vides 
    Le problème primaire, c’est l'insécurité et le chaos politique qui vident ces classes ! Qui les vident de nos enfants, de notre savoir, de nos histoires et de nos vraies classes dirigeantes potentielles ! C'est l'absence de sécurité devant cette terreur qui depuis 4,5, 7 ans (le premier incident s'est passé enn 2018) viole et assassine brutalement les gens, hommes, femmes et enfants sans distinctions dans les rues et surtout, sans objectifs et sans réclamations clairs ! 
    Et vous savez quel montant l'OEA voudrait allouer au rétablissement de cette sécurité ? Moins de 10% du budget !!! Et un maigre 5 millions au consensus politique et au soutien à la gouvernance et moins 10% du budget au procesus electoral !
    Mais vous pensez qu’on est fous ???

    Nous ne sommes pas sans savoir qu’Haïti est la capitale mondiale des ONG, qu’il y a plus d’ONG en Haïti que dans tous les autres pays du monde et nous ne sommes pas sans en constater les dommages de ces 10000 ONG qu’Haïti héberge.
    Nous avons accès aux documents et nous pouvions lire quand le gouvernement américain a déplacé le centre d'influence stratégique de son pouvoir sur place, de la milice vers la présence de “l'aide” apportée sur le terrain par les ONG. 

  • Le CPT, ce foutu conseil présidentiel de transition qui, comme les gangs, ne fait que passer le temps et se passer le bâton du pouvoir entre ses 9 têtes dirigeantes, vient de changer de président et en même temps, de chef de police !
    Il se donne jusqu’au 7 février 2026 pour organiser une élection formelle et donner un vrai président au pays.
    Mais c’est dans 6 mois ! Pensez-vous vraiment que partant de zéro, partant du chaos, ils pourront nous présenter des candidats dignes de ce nom d’ici là ???
    Qu’il sera en mesure de nous faire gober que ce président ne sera pas ENCORE choisi par les États-Unis ?

  • Quand cette semaine, alors que Trump vient de mettre à prix la tête bien scénarisée du symbole du mal, Jimmy Cherizier dit “Barbecue” pour 5 millions (ouais ! Ça brasse ! Tout ça en même temps ! Vous croyez au hasard ou vous voyez les paterns ?) ce même CPT vient de signer un accord avec Erik Prince, grand ami de Donald Trump, anciennement reconnu comme autorité et gestionnaire de Blackwater, compagnie paramilitaire indépendante très controversée, qui sous un nouveau nom offrira ses services de sécurité au gouvernement haïtien, en échange d’un salaire faramineux, pour les prochains 10 ans ?!!! Contrat de 10 ans !
    Je vous invite à vous renseigner sur ce personnage et ses malfaisances, entre autres au Moyen-Orient.
    Ce même Érik Prince qui a déclaré il n’y a pas longtemps que la solution qu’il propose pour rétablir l’ordre mondial, c’est le retour officiel à la colonisation de l'Afrique et des Antilles. 
    Ouais...il y a de ces malfrats qui savent très bien sous quels symboles ils doivent se présenter. Wolves in cheap clothing : le froc du berger.
     

Maintenant, pour ce qui en est de cette image fallacieuse d'une Haïti délabrée, gémissante et sans ressources qu'on nous dépeint en boucles, depuis toujours d'ailleurs, sur les réseaux comme dans les médias dis traditionnels, comme dans toutes les écoles du monde...
Vous êtes aussi coupables, vous qui ne faites pas votre devoir et qui courrez derrière le sensationnalisme éclatant mais creux et volatile, vous qui voulez être les premiers à rapporter les “zin” et qui n'allez plus en profondeur pour comprendre les causalités et raconter l'histoire sur le temps long. 
Vous êtes aussi coupables, vous qui vous déclarez professeurs et qui jouez à saute-mouton par-dessus vos frères et soeurs, par-dessus vos enfants, par-dessus toute la matière de l'histoire que vous ignorez par paresse ou par indifférence... L'homme est un loup pour l'homme.
J'exerce moi-même beaucoup d'efforts et de concentration, je l'avoue, pour éviter de tomber dans le piège de ce vortex autoritaire et tenancier.

 

 


La capitale est assiégée, c'est vrai. Mais la capitale n'est pas le pays entier !
Je reçois à chaque semaine des images de ma famille éloignée et de mes amis qui vivent une vie très plaisante aux Cayes dans le sud, là où est née ma grand-mère dont je vous parle souvent, dans Jérémie, ville des poètes, à l'ouest dans la pointe de l'île ou au Cap dans le nord du pays où se trouve désormais l'aéroport et qui risque de devenir à nouveau la prochaine capitale d'Haïti. Là où vous serez éblouis par la beauté et la propreté des lieux, par l'air et la température de bord de mer, par l'accueil des gens qui vous recevront chez eux et vous offriront à manger, digne d'un buffet à la paysanne ! Comme on sait manger santé et bon goût dans les lakous ! Plages merveilleuses à perte de vue, célébration continuelle de la vie, du levé au couché du soleil qui comme nous, se relève à chaque jour ! 
1.5 million de déplacés ? Oui. Peut-être. Et on cherche tous, les yeux dans l'eau, les moyens de leur venir en aide réelle !  Mais y'a aussi ceux qui restent, ceux qui savent comment et pourquoi rester. 
5 millions de gens en famine ? Ah bon ? La quasi moitié du pays ? Si c'est le cas, quand on est sur place, ça ne paraît pas.  Quelle force...
C'est parmi ces millions de gens que se trouvent ceux qui gardent le pays debout. Ceux qui comme ma marraine, cette grande dame qui m'a bercée et élevée quand j'étais enfant là-bas, répètent à tue-tête : « M pap janm kite ti peyi mwen. Map batay pou li jiskaske m ale ! » Je n'abandonnerai jamais mon pays. Je me battrai pour lui jusqu'à la fin... 

Descendez à Vertière, là où s'est passé la bataille décisive du 18 novembre en 1803, où l'armée de Dessaline, l'armée “indigène”, l'armée des Bosales, de l'union des forces du pays a renversé les troupes de Napoléon et les ont renvoyées paître chez elles, défaites et bredouilles, pour aller annoncer à celui-ci que plus jamais les haïtiens ne seront esclaves et que désormais, nous étions un état libre et indépendant. Depuis le drapeau rouge et noir, depuis les Taïnos que nous le répétions déjà : la liberté ou la mort. 
Depuis lors, cette liberté et cette mort marchent main dans la main sans renoncer à la vie, cette victoire qu'elles célèbrent.

Car ce moment où Hayti a repris son nom, celui que lui avaient donné ses habitants bien avant l'arrivée de Colomb en 1492, celui que Dessaline, après la première et la seule révolte d'esclavagisés réussie qui mena vers un état libre, le premier état noir indépendant de l'histoire moderne et contemporaine, fit inscrire dans cette nouvelle constitution en annonçant que ce pays sera le premier du monde a être officiellement multiculturel et que tout Homme voulant vivre en son sein en harmonie sera désormais bienvenu et formellement haïtien, ce moment où Haïti balança à la figure de la colonie sa Déclaration des Droits de l'Homme en lui annonçant que chez nous « tout moun se moun » , que tous les Bantous sont Bantous, que tous les Sapiens sont Sapiens, que tous les Hommes sont des Hommes...la colonie ne l'a jamais avalé. 
Elle a juré vengeance. Elle a réuni autour d'elle la “communauté internationale”. Ils ont écrit et enclanché l'enchaînement de leur stratégie économique capitaliste : le néo-colonialisme. Et ce, bien avant la Conférence de Berlin qui s'en suivra en 1884.
Et la suite de l'histoire fut écrite par les vaincus amers.

  • Ça a pris plus de 20 ans à la France pour reconnaître en 1825 l'indépendance d'Haïti. Mais comme on le sait, ce ne fut pas sans conséquences.
    Si on marque aujourd'hui en 2025 le bicentenaire de cette reconnaissance, on marque aussi celle de la rançon de l'indépendance.
    En échange de cette reconnaissance, la France impose à Haïti une double-dette de 150 millions de francs-or pour dédommager la colonie et les maîtres d'esclaves !
    Double dette car, évidemment, ce nouveau pays n'étant pas en moyens de la payer, a été forcé d'emprunter de l'argent à cette même France défaite, bancale mais banquière, pour arriver à l'acquitter ! Ça m'explose le crâne. 
    Pardon ? Mais depuis quand ce sont les perdants de la guerre qui touchent profit de la victoire ? Le prix de la liberté ? C'est pourquoi nous l'appelons aujourd'hui par son vrai nom : “la rançon”. 
    Pris dans le jeu des interrelations économiques mondiales de l'époque - car il est clair qu'en économie, indépendance veut dire interrelations - Haïti n'a pas eu de choix réel. Il fallait signer l'accord pour entrer officiellement sur l'échiquier du marché global. 
    Les experts s'entendent pour arrondir le montant qui serait juste à remettre à Haïti - si la France voulait dignement lui redonner son dû en calculant bien sûr tous les dommages et retardements subis depuis - à 21 milliards pour être très conservateur et à plus près de 115 milliards pour être plus fair play. 
    Je serais surprise de voir le jour où, en ce sens, justice serait faite.

Alors arrêtez de me saouler avec vos histoires de pays maudit, de malchance errante ou inhérente, d'incompréhension et surtout...de résilience. 
Tout, je dis bien TOUT ce qui se passe depuis toujours en Haïti est calculé, voulu, décidé, chapeauté et exécuté de mains de maîtres. 
C'est l'économie du chaos à son paroxysme et au coeur de son archétype de base, dans son exemplarité parfaite.
L'art de la guerre, c'est d'abord l'art de la peur, de la division qui règne sur la multiplication des camps qui s'opposent, même à l'image qu'ils voient devant le miroir. 

Or, les haïtiens, c'est ceux qui n'ont jamais peur. Ni même de leur ombre et surtout pas d'eux-mêmes.
Ceux qui honoreront à jamais l'alliance de tous ces empires et de ces royaumes africains bien singuliers et définis sur les négriers, qui se sont liés en une seule et même culture, se sont parlés avec une seule et même langue riche et envoûtante, se sont retrouvés autour d'une même cause : Ecce Homo. Men moun yo. 
Les haïtiens ne sont pas résilients. Ne vous attendez pas à ce qu'on commence à croire au concept du sort accepté, de l'autre joue tendue, des bras baissés et des culs à terre (pour rester classy) devant les tchouls qui défient Dieu.  Tchuip. Lan get pou yo... 
Bien au contraire, Haïti est l'exemple parfait de la résistance sans compromis qui ira au bout de sa volonté.
Car une seule chose est certaine, c'est l'inévitable trépas devant l'éternité.
Alors d'ici là, Haïti incarne son temps, incarne sa liberté, incarne la vie, incarne l'Humanité.